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Tel qu'entendu en ondes

Lettre à mon fils par Tatiana Polevoy
4 mai 2021
par WKND

Cher Adrien,



Je sais que t’as juste 2 ans et demi. Pis que anyway c’est ta sieste à la garderie en ce moment.

Mais je veux quand même te parler ce midi.

On entend beaucoup parler de violence envers les femmes ces temps-ci. De féminicides. Qui se passent ici. A quelques kilomètres de la petite chambre où tu dors paisiblement le soir. 

Je vois que beaucoup de gars prennent la parole sur ce sujet-là, mais je pense que les filles aussi doivent parler. Les filles, les femmes et les mères.

À deux ans et demi, la seule violence que tu connais, c’est celle de ta sœur qui t’arrache ta perceuse Fisher Price. (Maudite perceuse à marde!)

Ben c’est justement dans cette violence que je veux t’apprendre à vivre. Je veux t’apprendre à surmonter toutes les petites violences ordinaires, les petites violences quotidiennes, pour que tu puisses rester loin de la vraie grosse violence.

Je veux que tu puisses dire ta colère avec des mots. Que tu saches te retirer quand tu ne te maîtrises plus. J’aimerais que tu pleures de rage, ça ne me dérange pas. Que tu me racontes tout ça pis que je te prenne dans mes bras. Pas pour te calmer. Mais pour te dire que t’as le droit. D’être en colère. C’est ce que tu fais avec cette colère qui compte.

Je ne veux pas que ta colère soit une forme de virilité. Je ne veux pas qu’elle définisse ta façon d’être un gars. Je pense à toi, en ce moment, à ta garderie, avec tes petits ongles d’orteil peinturés un mauve pâle, un mauve foncé, en alternance, parce que c’est ça que tu voulais.

(Ok : je pense pas que laisser son fils porter du vernis à ongles va l’empêcher de développer une masculinité toxique, comprenez-moi bien!)

Mon petit Adrien. J’espère que tu vas être un gars comme tous les gars que moi j’ai côtoyés dans ma vie. Parce que, vois-tu, mon chéri, ta mère, c’est une exception.

Elle n’a jamais été violée. Jamais agressée. Jamais frappée. Jamais harcelée. Jamais pas respectée. 

Pas parce que je suis bonne ou forte. Oh non. Juste ben chanceuse. Juste tombée sur les bons gars. Par hasard. Faut dire qu’ils sont là très très très grande majorité.

Mais j’ai vu, j’ai entendu la violence. Elle se vit à plein de degrés. De pleins de façons et à chaque jour.

Adrien, j’espère que tu vas être dans la gang des gars que j’ai connus. Que tu ne vas jamais penser que le désir d’une fille c’est une chose acquise. Que tu ne vas jamais penser que "pas de réponse", ça veut dire oui. Que tu vas toujours t’assurer qu’elle est correcte avec ce que vous faites ou ne faites pas. Que tu vas respecter ses décisions ou ses indécisions

(En passant, mettons que t’es gai pis que tu n'as pas encore eu le temps de me le dire, c’est la même chose avec les gars que tu vas avoir dans ta vie!)



Pis le jour où tu vas te faire dire non, où tu vas te faire laisser, le jour où une fille ne sera pas fine avec toi - ben oui ça va arriver, les filles ne sont pas parfaites. Elles sont juste - les statistiques le montrent - moins violentes physiquement. Le jour où elle ne sera pas fine, donc, qu’elle va te faire mal en dedans comme jamais personne ne t’a fait mal, j’espère que tu vas pleurer. Que tu vas écouter des tounes  tristes qui vont te faire pleurer encore plus. Que tu vas appeler tes amis. Ta grande sœur. Ton père. Que tu vas venir brailler dans mes bras. Que tu vas venir manger de la lasagne chez nous. Que tu vas me laisser m’inquiéter pour toi. Pis que c’est comme ça que tu vas la vivre, ta colère.

D’ici là. Donne-moi la maudite perceuse Fisher Price. Vous vous chicanez trop. Je la retire.